Le 23/03/2013 -

D’abord une constatation, peu de cinéastes comme Howard Hawks auront réalisé au moins un chef d’œuvre dans n’importe quel genre hollywoodien. Hawks a offert au western, RIO BRAVO, à la comédie musicale, LES HOMMES PRÉFÈRENT LES BLONDES, au film de gangsters, SCARFACE, au film d’aventure exotique, LE PORT DE L’ANGOISSE, à la comédie, LA DAME DU VENDREDI, au film d’aviation, SEULS LES ANGES ONT DES AILES, au film noir, LE GRAND SOMMEIL et même au péplum, LA TERRE DES PHARAONS. Et pourtant durant des années, Hawks n’était personne, même pas un cinéaste, mais une marque sur une affiche, la garantie seulement d’un produit d’excellente facture. Conscient comme Hitchcock (qu’il respectait) de la force de la publicité, il fut l’un des premiers à Hollywood, à faire valoir son nom au-dessus de celui des comédiens et des producteurs, dans une typographie élégante et raffinée, à l’image de ce cinéma sans fioritures, toujours plus dépouillé et sobre, auquel il aspirait et aura finalement excellé.

On le savait hautain, mystérieux, taiseux, élégant, classieux et insondable. On le disait aventurier émérite, sportif accompli, homme au goût sur, séducteur insatiable et producteur indépendant, artisan exigeant. Mais aussi réac au dernier degré, mythomane et peu amène avec ses ennemis comme avec certaines femmes qui lui résistaient. On dit du cinéaste qu’il était d’action, transparent, classique, moraliste, éthique progressiste et féministe. Mais aussi glacial, plus sentimental qu’il ne voulait le laisser paraître, parfois vulgaire, sans compromis, redondant, voire ressassant. En fait, il a cumulé toutes les qualités et toutes les tares des grands artistes américains qui ont rêvé de faire de leur existence des histoires aussi romanesques que celles qu’ils racontaient (Hemingway, London, Miller, Melville, Kerouak, Huston, Orwell). Hawks aura marqué des points sur tous les terrains comme si la vie était d’abord le premier des défis à relever, pour la seule beauté du geste.

Ainsi, rien ne l’excitait autant que de toujours faire plus et mieux sans jamais montrer l’effort accompli, sans jamais donner l’impression d’avoir souffert pour y parvenir. Cinéaste de l’action pure, de la fausse transparence et des sentiments que l’on cherche à dissimuler.

On raconte qu’à la veille de partir réaliser LA TERRE DES PHARAONS, il aurait marmonné, l’air de rien, comme en plaisantant, entre deux verres de tord boyau, et comme si personne ne relèverait la phrase : « Je vais bâtir une pyramide ». Tout Hawks est peut-être là, dans ce faux aveu d’un artiste qui s’inventait artisan mais qui se savait pertinemment artiste. Dans cette phrase calculée mais prononcée comme une grosse blague d’aventurier éthylique. Hawks, l’homme qui rêvait de sublime dans un haussement d’épaules.

C’est peut-être donc ça la beauté du geste « hawksien » que dix milles gloseurs (dont nos trois « kaboomers ») ont cherché depuis des décennies à révéler: celui d’un cinéaste qui se choisissait des défis impossibles tout en donnant l’impression de seulement vouloir faire un bon mot. C’est ce geste à priori paradoxal qui fait toujours le prix de son art inestimable: entre désinvolture et orgueil démesuré, enjeu ludique et fausse humilité, folie et mesure, grandeur et feinte.


Frédéric Mercier